Présentation

Réparations a d’abord été le sous-titre du numéro 3 de la revue La correction, coordonnée par Alain Jugnon et publiée par les éditions Dernier Télégramme. Réparations, numéro zéro constitue une nouvelle parution de ce travail, augmenté de la publication de trois nouvelles contributions, en ouverture. Il constitue également le numéro zéro d’une nouvelle revue, Réparations, premier livre des éditions Sahus Sahus. Avec cette revue, publications à venir sous les hospices de ce mot. Réparations.
 
Le présent numéro est composé de contributions de Alix, Angélique Dupommier, Anaïs Denaux, Anne Kawala, Claire Baglin, Élodie Petit, Fabienne Deyris Carcedo, Gaëlle Morand, Iris Estivals, Isabelle Querlé, Maïlys P., Maxime Actis, Odile Etcheto, Shrese, Sofi Hémon. Morgane Masse en a fait la mise en page.

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Réparations a été travaillée depuis le constat énoncé à Alain Jugnon dans le cadre du projet de La correction : le peu de femmes ayant contribué aux deux premiers numéros de cette revue. Suite à ce constat, Alain Jugnon me donne carte blanche pour le troisième numéro de la revue.
 
À défaut d’assumer pleinement le fait que c’est un homme à qui un homme donne une carte blanche pour orchestrer un numéro avec des femmes, assumer pleinement que ce numéro s’est fait avec le cœur. Avec des personnes rencontrées ces dernières années et décennies, et dont les vies, les métiers et les recherches me touchent, par la place que le sensible, l’amour et l’éthique y prennent.
 
Amour. Éthique. Sensible. Et Corps. Quatre mots qui irriguent en amont la fabrication de ce numéro.
 
Amour. Pour dire les actions avec lesquels il nous est possible et de vivre ensemble et de comprendre comment il est nous possible et difficile de le faire.
 
Éthique. Pour dire les manières d’être, par lesquelles s’efforcer de prêter attention à la nécessité de certaines actions, aux manières de penser qui s’y fabriquent, nourrissant la continuation de l’action.
 
Sensible. Par conviction que le sensible est le point de rencontre où corps, actions et pensées peuvent trouver leur bon accord.
 
Corps. Car c’est par le corps que nous sommes renseigné·e·s sur ce que nous ressentons des situations. C’est sur les corps que les dominations opèrent matériellement leurs contrôles, leurs contraintes et leurs violences. C’est par les corps que nous sommes à même de pouvoir comprendre par où il est possible de lutter contre les oppressions. Et d’engager les luttes.
 
Un autre mot s’est glissé en partage entre nous. Intimidations.
 
À l’instar de toute puissance qui peut se muer en pouvoir dominant, le savoir ou la pensée peut produire des formes intimidantes. Un des souhaits pour ce ce numéro fut de travailler à réduire cette intimidation. Entre autres par le côtoiement et les liens qui se tissent entre des contributions écrites par des personnes pour qui l’écriture n’est pas une pratique familière, et d’autres oui.
 
Délicatesse. Maladresse. Fragilité. Opiniâtreté. Pourraient aussi désigner quelques-unes des qualités de ce que fut le travail pour réaliser ce numéro.

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Parmi l’ensemble des contributions ici publiées, une partie d’entre elles s’articule autour des réalités liées au soin, à la médecine, au care, au corps enceint. Si le lien entre soin, care, grossesse et féminin peut paraître caricatural et comme le signe d’un enfermement genré, il vient ici avant tout mettre en lumière une réalité située.

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Et si l’on est d’accord sur le fait que toute pensée est nourrie et induite par une expérience matérielle vécue, il semble juste d’écouter témoignages et pensées de celles qui, par leurs corps, éprouvent ce que produit la réalité de cette vie matérielle.

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Les oppressions sont multiples. L’oppression de genre est l’une d’entre elles. Et parce qu’écouter la pensée de quiconque nous modifie, il importe, afin d’ouvrir la pensée à d’autres relations que celles produites par des hommes, d’écouter des pensées qui ne sont pas produites par des hommes.

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Une question, en creux, pourrait se poser, pour un travail à venir qui appellerait à mettre en lumière les expériences dont les hommes ne témoignent pas, et que par conséquent ils ne pensent pas, ou si rarement. Par exemple à propos de la grossesse. Par exemple à propos du soin. De quelles expériences pourraient-ils témoigner, depuis la place qui est la leur — et non en surplomb de la situation, ou dans l’omission d’une partie des relations qui produisent la situation ?

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Si nous considérons que nous sommes des êtres de relations. Et que toute relation relie des êtres aux expériences singulières. Il paraît juste que l’attention soit portée autant à la relation elle-même qu’à la place que chacun.e occupe dans cette relation. C’est ce travail fait d’une triple attention qu’il nous faut mener : attention à la relation ; attention à ce que l’autre, les autres, dit ou disent de l’expérience qu’ielles vivent ; attention à ce que je vis, depuis la place que j’occupe. Dans cette triple attention, une justesse pour vivre et penser la relation peut commencer à avoir lieu.

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Ce numéro fait l’impasse sur un nombre écrasante d’oppressions, à commencer par l’oppression raciale. Cette impasse appelle à son tour réparations. Le prochain numéro de la revue s’attellera à ce travail.

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D’une lectrice libératrice. De la figure de la mauvaise fille. D’un amour et d’un être qui meurt. Du soin. Du social et de ce que recouvrerait la notion d’amour social. Du désamour. D’un abus sexuel sur une enfant. De visages de femmes qui nous regardent. D’une lycéenne en Gilets Jaunes. D’un homme rouge d’alcool et de rage aux grèves trahis. De corps de grève sans désir de grève mais non sans tendresse. De la réification humaine dans une cuisine de la restauration rapide. D’une jeune femme et du travail intérimaire et des vieux. De l’attention au travail d’équipe en Ehpad et du plaisir des aides-soignantes dans leur travail. De l’appropriation du care par le développement personnel. De la génétique comme une des sciences de l’ordonnancement du réel. De la destruction de l’hôpital public par le comptable et le mesurable. Du corps enceint comme corps et un et pluriel. De la grosse masse noire des papas. Avec du rock, la nuit, et une vague qui va tout recouvrir.
 
De cela est fait ce numéro, dont les contributions ont été réalisées ou collectées entre novembre 2020 et mars 2022.
 

Marc Perrin — Réparations, numéro zéro — juillet 2022.

 
 
 
[Après avoir écrit Avoir lieu, où les corps sont encore davantage des idées de corps que des corps sensibles, Marc Perrin a commencé à chercher à déconstruire ses projections idéales pour rencontrer la réalité de son expérience. Dans Spinoza in China, écrit comme le journal d’Ernesto, et publié en 2015, la possibilité de la joie rencontre la (tentative de la) compréhension de ce que sont les affects, réfléchis à l’aune de l’Éthique de Spinoza. Aujourd’hui, Marc Perrin continue ce travail, dans la pratique et dans l’écriture, cherchant à établir, et à améliorer les relations, à ce qu’elles soient bonnes, au sens plein du terme. Cette réflexion s’ancre notamment, depuis son expérience quotidienne, dans une attention aux biais de genre qu’induit notre société, et aux dominations masculines qui en résultent. C’est avec ce bagage et un œil critique sur sa propre position que Marc Perrin a constitué le sommaire de ce numéro, invitant avec pleine confiance des personnes qu’il estime, depuis ce qu’elles sont et font.]